TikTok au Sénégal : Une génération perdue dans les abus du virtuel

27 - Août - 2024
L’émergence et la popularisation de TikTok au Sénégal ont rapidement transformé cette plateforme en un phénomène incontournable, notamment parmi les jeunes. Ce réseau social, qui se distingue par la rapidité avec laquelle un contenu peut devenir viral, a cependant révélé un côté sombre, où les limites du raisonnable et du moral sont fréquemment transgressées. De la diffusion de contenus inappropriés à l’atteinte systématique à la vie privée, TikTok est aujourd’hui devenu le reflet des dérives d’une génération en quête de visibilité et de reconnaissance.
Injures, diffamation et contenus obscènes : Les nouvelles normes de popularité
 
Les jeunes Sénégalais, souvent avides de "buzz" et de reconnaissance instantanée, n’hésitent plus à recourir à des pratiques nuisibles pour capter l’attention sur TikTok. Parmi les dérives les plus alarmantes, les injures publiques et la diffamation sont devenues monnaie courante. Les utilisateurs, sans crainte des répercussions juridiques ou sociales, se livrent à des campagnes de dénigrement, souvent au détriment de l’honneur et de la dignité d’autrui. La publication de photos obscènes et d’autres contenus inappropriés, destinés à choquer ou à divertir, contribue à normaliser un climat de violence verbale et de dégradation morale.
 
Cette quête de la visibilité à tout prix pousse certains à enfreindre les normes les plus élémentaires de respect et de décence. Les vidéos à caractère injurieux ou diffamatoire, en plus de ternir la réputation de leurs victimes, renforcent une culture du clash et du scandale, où l’attaque personnelle devient un moyen légitime de se faire remarquer. Ce phénomène, loin d’être anodin, s’inscrit dans une logique où l’éthique et la responsabilité sont sacrifiées sur l’autel du divertissement.
 
L’Atteinte à la vie Privée : Une intimité envolée
Un autre aspect préoccupant de l’utilisation de TikTok par les jeunes au Sénégal est la banalisation de l’atteinte à la vie privée. L’exposition non consentie de la vie intime des autres est devenue une pratique répandue, que ce soit par le biais de vidéos compromettantes ou de révélations personnelles. Les utilisateurs se transforment en voyeurs modernes, exploitant les moments de faiblesse ou les situations intimes d’autrui pour en faire des sujets de spectacle public.
 
Cette immersion forcée dans la vie privée des autres, souvent sous le prétexte de divertissement ou de curiosité, érode la confiance et la sécurité dans les relations sociales. Les conséquences de telles pratiques peuvent être dévastatrices, allant de l’humiliation publique à des traumatismes psychologiques profonds. Le cas récent du meurtre d’Aziz Dabala et Wally à Pikine en sont des illustrations criantes. Au lieu de respecter la gravité de ces situations, TikTok a servi de plateforme pour des analyses amateurs et des interprétations erronées, où chacun s’est improvisé enquêteur, au détriment de la vérité et de la justice.
 
Néanmoins, une grande partie des utilisateurs n'a pas pleinement conscience de la gravité de certains actes pouvant entraîner leur responsabilité pénale. Il convient de rappeler qu'au Sénégal, depuis 2008, plusieurs lois ont été adoptées pour encadrer l'espace numérique. Parmi celles-ci, la loi n°2008-12 du 25 janvier 2008 relative à la protection des données à caractère personnel et la loi n°2016-29 du 8 novembre 2016 portant Code pénal, prévoient des sanctions sévères pour les infractions liées à l'atteinte à la vie privée ou au partage non consenti de contenus.
Par exemple, l'article 431-27 de la loi pénale de 2016 dispose que : « Toute personne qui, lors de l'enregistrement, du classement, de la transmission ou de tout autre traitement de données à caractère personnel, divulgue ces données de manière à porter atteinte à l'honneur ou à l'intimité de la vie privée de l'intéressé, sans son autorisation, à un tiers non habilité à les recevoir, est passible d'une peine d'emprisonnement de un à sept ans et d'une amende allant de 500 000 à 10 000 000 de francs. »
 
De même, selon les dispositions de l’article 363 bis de cette même loi : « Est puni d'un emprisonnement de un à cinq ans et d'une amende de 500 000 à 5 000 000 de francs, quiconque, par tout procédé, porte volontairement atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, notamment en captant, enregistrant, transmettant ou diffusant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, ou en fixant, enregistrant, transmettant ou diffusant, sans le consentement de la personne concernée, son image lorsqu'elle se trouve dans un lieu privé. »
 
L'Obsession du "Buzz" : Quand la notoriété prend le pas sur la réalité
La dynamique de TikTok, basée sur la viralité et l’engagement, a engendré une obsession du "buzz" parmi les jeunes utilisateurs sénégalais. Dans une course effrénée pour attirer les "likes" et les "followers", beaucoup n’hésitent plus à recourir à des méthodes extrêmes, voire dangereuses. Le phénomène des "lives" incessants, où des utilisateurs passent des heures à filmer leur quotidien ou à commenter les événements en temps réel, en est un exemple frappant. Ce besoin constant de validation par le regard des autres a créé une génération pour qui l’existence en ligne semble avoir plus de valeur que la vie réelle.
 
Dans cette quête du "voyez-moi", les jeunes s’enfoncent de plus en plus dans un univers virtuel où les normes sociales traditionnelles sont mises à mal. Les vies privées sont exposées, les drames personnels sont exploités, et la frontière entre le public et le privé devient floue. La conséquence en est une génération qui risque de se perdre dans cette réalité parallèle, déconnectée des enjeux réels et des valeurs humaines fondamentales.
 
Vers une réflexion et une régulation nécessaires
Face à ces dérives, il est urgent de repenser l’utilisation de TikTok par les jeunes au Sénégal. La plateforme, en tant que produit de la révolution numérique, ne peut être blâmée pour les comportements qu’elle catalyse. Toutefois, les utilisateurs, les parents, les éducateurs, et les autorités doivent prendre conscience des dangers qu’elle présente et agir en conséquence. L’éducation à l’utilisation responsable des réseaux sociaux, combinée à une régulation stricte des contenus, est essentielle pour éviter que toute une génération ne se perde dans les méandres du virtuel.
 
Le Sénégal, en tant que société, doit se poser les bonnes questions sur l’impact des réseaux sociaux sur sa jeunesse. Au-delà du divertissement, quels sont les modèles de société que TikTok est en train de façonner ? Quelles valeurs sont transmises aux jeunes à travers ces contenus ? Et surtout, quelles solutions apporter pour encadrer et responsabiliser cette nouvelle génération d’utilisateurs ? Ce sont des enjeux cruciaux qui nécessitent une réflexion approfondie et des actions concertées pour protéger l’avenir de la jeunesse sénégalaise.
 
Assane SY | Cyberjuriste-Consultant | Spécialiste en droit du numérique | Data Privacy Expert
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1 commentaires
Auteur : Posté le : 28/08/2024 à 13h23

merci pour cet article digeste

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